Observer les mutations du financement participatif, c’est d’abord questionner la pertinence de certaines plateformes, et incidemment leur avenir dans un marché hautement concurrentiel, sachant qu’on dénombre près de 400 sites juste en Amérique du Nord. Ma prédiction est que les plateformes qui survivront à 2018 sont celles qui offrent des services à valeur ajoutée, par exemple un accompagnement personnalisé (préférablement humain et dans la bonne langue), ou une solution participative originale, qui fait écho aux principes de l’économie collaborative.
Un-Mute, une nouvelle plateforme de sociofinancement belge, répond à ces exigences avec une nouvelle forme de financement participatif, qui fait non pas dans le marché à deux versants (exploitation des réseaux de deux types d’acteurs), mais à « trois versants ». C’est-à-dire qu’il repose sur l’engagement d’un réseau de musiciens, de fans et de salles de spectacles, dans lequel chaque acteur est mobilisé autour d’un motif d’intéressement, soit la vente d’un minimum de places afin qu’un concert ait lieu.
Son slogan : « Découvrez. Soutenez. Produisez les artistes de demain. »
Le booking 2.0
Pierre Blackman est l’instigateur de cette jeune plateforme lancée il y a quelques mois. Étant lui-même un musicien, local et amateur de surcroît, il a rapidement réalisé que le booking — activité consistant à négocier des contrats de concerts — était une tâche pénible et ardue en Belgique. Un constat qu’il partageait avec ses pairs, notamment les artistes indépendants en autoproduction. Il a alors décidé de prendre les choses en main; plutôt que de perdre de longues heures au téléphone à tenter de convaincre des diffuseurs, il s’est dit que sa parole aurait plus de poids si elle était portée par des membres de sa communauté. Désormais, c’est eux qui se prononceraient sur la réalisation ou non d’un concert!
L’idée est originale, car elle inverse les rôles des acteurs de la production musicale, tout en démocratisant l’accès à la scène. L’artiste ne dépend plus d’un seul « producteur-patron », mais d’une centaine dont l’appui financier, c’est-à-dire l’achat d’un billet à l’avance, rassure les gestionnaires de salles de spectacles et assure la tenue d’un concert, voire d’une mini-tournée locale.
Pour attirer l’attention des futurs fans, Blackman propose de vivre une expérience inédite et « ludique » de la production de spectacle. « Notre objectif est de rendre l’action du fan attrayante. De « gamifier » dans la mesure du possible son rôle sur la plateforme, afin qu’il se sente impliqué dans l’émergence de la scène musicale locale. De plus, nous développons en ce moment de nouveaux systèmes promotionnels, tels que l’achat de billets pour des concerts différents, l’achat de plusieurs billets pour un même concert, ainsi que le parrainage d’un événement. » On suppose donc que l’expérience du rôle de producteur offert par Un-Mute constitue une contrepartie attrayante pour certains passionnés du spectacle. D’ailleurs, plusieurs créateurs en financement participatif offrent des expériences en guise de récompenses; ces dernières sont souvent moins coûteuses qu’un bien matériel à produire et à envoyer par la poste, et elles ont l’avantage d’être exclusives.
Un modèle au stade de l’expérience
Lancée au début de l’année, la plateforme cumule déjà une vingtaine de projets dans différents genres musicaux. La rentabilité du modèle reste toutefois à venir, car il repose entièrement sur la vente de billets, de laquelle Un-Mute tire une commission. Bien qu’aucune contribution financière ne soit demandée aux artistes et aux salles de spectacles, Blackman est confiant que son modèle économique est viable à long terme. À condition bien sûr d’accroître le réseau d’abonnés à la plateforme et d’en faire des fidèles à la mission d’Un-Mute. Son défi sera de les convaincre de s’investir pour l’amour de la musique locale, pour que leur engagement transcende le soutien d’un ami musicien.
A-t-on besoin d’Un-Mute au Québec?
L’assistance payante pour des spectacles de chanson francophone ne cesse de baisser chez nous, surtout à Montréal où l’on dénote un recul impressionnant depuis 2004. En 2016, l’état des lieux de la musique dressé par l’ADISQ présentait aussi une série de statistiques alarmantes concernant les revenus d’assistance pour les artistes francophones. Ils sont en baisse, alors que ceux des artistes anglophones croissent, en particulier dans les petites salles. De quoi inquiéter ceux qui ont à cœur la présence francophone au centre-ville.
Bien qu’il soit encore trop tôt pour affirmer que l’avenir de notre chanson réside dans le modèle de la production de spectacles 2.0, Un-Mute ne constitue pas moins une avenue inspirante pour prévenir l’érosion de la scène musicale locale, et puisqu’on y est, pour initier un système de billetterie équitable.
Mais surtout, et c’est là toute sa pertinence à mon avis, la plateforme belge secoue les fondements traditionnels de la production d’événements culturels en nous posant une question toute simple : embarquez-vous dans l’aventure?
Il est grand temps d’explorer les possibilités de l’économie collaborative dans notre secteur culturel, dont Un-Mute constitue un bel exemple.
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