« Je ne me suis pas senti inspiré comme ça depuis une décennie! », m’a dit Jason Bajada au bout des dix premières minutes de notre entretien à jaser de ses occupations actuelles. Qu’on se rassure : la musique est toujours présente et de nouvelles chansons seront dévoilées bientôt. Mais ce qui l’excite autant ces jours-ci, c’est l’art crypto et l’univers des NFTs.
C’est un monde stimulant, basé sur l’innovation. J’ai l’impression de découvrir l’Internet en 1993 et d’expliquer à tout le monde que plus tard, plus personne ne pourra se passer du email.
C’est entre autres sur Twitter, son média social préféré, qu’il cultive sa nouvelle passion avec des gens de partout dans le monde, notamment dans les Twitter Spaces où se forment des communautés très fortes autour des artistes numériques.
Mais bon, je ne l’ai pas appelé pour lui parler que de crypto, même si ça a occupé une bonne partie de notre conversation. Mon objectif était de sonder les motivations derrière ses projets parallèles à la musique, et à sa vie personnelle, sachant qu’il sera bientôt papa et qu’il mène un projet d’autoconstruction dans les Laurentides.
Bajada Dialogues : ralentir le tempo de la discussion
C’est en écoutant ses dernières entrevues que je me suis dit : faut que je lui écrive. Je voulais mon dialogue with Bajada, car j’étais certaine que nous pourrions aborder le sujet du side project en profondeur.
Je ne me suis pas trompée.
Lancés en 2017, les premiers épisodes de Bajada Dialogues se voulaient de longues jasettes sans fla-flas avec des musiciens. Jusqu’ici, rien d’étonnant, c’est son milieu. Or avec le temps, une plus grande diversité d’intervenants s’est installée avec des auteurs, un neurologue, une spécialiste en blockchain et Chantal Machabée.
Cette nouvelle direction m’a intrigué, parce que le virage était plus audacieux, plus personnel. Mais surtout, parce qu’elle témoignait d’une plus grande curiosité intellectuelle – une « curiosité enquêteuse et nonchalante » dirait Montaigne. Pourquoi Montaigne? Parce que j’aime me référer à cette analyse de la curiosité à travers le regard un brin paradoxal du philosophe français. À retenir : « la curiosité « nonchalante » n’est pas pour autant passive : elle est au contraire le signe d’une pensée toujours en éveil, en alerte. »
À la fin, j’avais plus de fun de parler avec des non-musiciens – et c’est rien contre eux! On dirait que j’ai passé trop de temps à jaser de production d’album. C’est un petit monde, j’avais l’impression qu’on se répétait. J’aimais discuter avec des humoristes, parce qu’ils sont de bons philosophes. Je trouvais les conversations plus intéressantes et elles me permettaient de jaser d’autre chose que de la musique.
Dans le fond, le balado Bajada Dialogues a évolué dans respect de son objectif de départ : initier de grandes discussions philosophiques avec des personnes qui l’inspirent, dans un environnement calme où le monde n’est pas là pour jouer une game, me dit-il, en se rappelant certains 5 à 7. Il est aussi un grand fan des longs entretiens audio.
On n’avait pas ça au Québec. Je me suis donc lancé. Parfois, j’ai pris des pauses et à d’autres moments, ça roulait et j’en faisais quelques-uns par semaine. C’est un labor of love.
Ces temps-ci, le balado, ainsi qu’HODL ME, un projet de chaîne YouTube sur le marché des cryptomonnaies et des NFTs, sont en mode pause. En discutant de l’avenir de ces projets, il a dit cette phrase qui, je crois, va en rejoindre plusieurs :
Je ne pensais pas qu’il allait y avoir 50 épisodes, car j’abandonne facilement les choses. Je suis excité au début, et après, je passe à autre chose.
Sur les désirs profonds et le sentiment de cohérence
Le risque du side project, c’est l’éparpillement des idées créatives. Plus le projet secondaire est éloigné du boulot principal, plus il est exigeant de maintenir la cadence et d’être pleinement investi dans chacune des occupations.
Mais ça ne veut pas dire que le projet « 5 à 9 » doit être le prolongement exact de la job de jour! Il s’agit surtout d’y trouver de la cohérence. Il faut que les idées fittent ensemble, et que la combinaison des activités fasse grandir la personne en concordance avec ses désirs profonds. Dans le cas de Jason, je parierais (sans vouloir jouer aux psys) qu’ils sont liés à une grande soif d’apprendre et d’interroger le monde dans lequel il évolue.
Désirs profonds?
Si nous avons de la difficulté à savoir ce que nous voulons dans la vie, c’est parce que nous sommes animés de désirs profonds ET de désirs de surface. Ces derniers sont généralement stimulés par les tendances, alors que les désirs profonds s’enracinent dans ce que nous avons construit au fil du temps, à travers des modèles forts (famille, amis, profs, artistes). Ils sont ce que nous sommes, et ils sont donc fortement attachés à nos valeurs.
La distinction n’est pas toujours évidente, mais elle n’en demeure pas moins essentielle lorsqu’on doit choisir nos « investissements de temps ».
Pour approfondir sur le sujet, je vous suggère cette vidéo avec Luke Burgis, un professeur spécialisé en education of desire :
Évidemment, je ne vais pas faire l’analyse des choix de projets de Jason. Mais je ne pense pas me tromper en disant qu’ils s’inscrivent dans une démarche de recherche qui est essentielle à son métier de musicien, et encore plus ces dernières années. Son exploration de l’univers des NFTs l’amène à repenser sa pratique et son rapport à l’art.
Une posture nécessaire selon Jacques Greene, qui s’exprime au sujet des NFTs dans le Devoir : « j’ai aussi le sentiment que lorsque des choses se passent comme ça en technologie, si aucun artiste ne s’y intéresse, la culture y perd. »
À quand les prochains balados sur le sujet, Jason?
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