Autant le dire tout de suite : je ne crois pas une seconde que le sociofinancement ait sa place dans la sphère santé. Comme plusieurs, j’ai été choquée d’apprendre que François Marcotte, atteint de la sclérose en plaques, ait eu à se tourner vers Gofundme pour se payer un nombre décent de douches, son CHSLD ne lui en assurant désormais qu’une seule par semaine. Même sentiment lorsque je suis tombée sur la campagne de la collègue Houda Elkherchi, brave et pétillante barista radio-canadienne, qui a effectué une levée de fonds tout en menant un combat contre le cancer. N’ayant plus droit à l’assurance-emploi ni à l’assurance sociale (à ce moment-là), il ne lui restait que la générosité des gens.
L’une des grandes injustices de la maladie, c’est qu’elle vous oblige à prendre congé de votre vie active, mais pas des vos obligations financières. Évidemment, le stress causé par le manque d’argent n’aide en rien à la guérison. « Je crains plus les dettes que la maladie », nous confiait Houda.
Les campagnes de sociofinancement liées à la santé, pour ne pas dire la survie, sont légion. Extrêmement populaires aux États-Unis (allez jeter un oeil sur youcaring, vous n’en reviendrez pas), elles sont de plus en plus populaires au Canada, témoignant ainsi des sérieuses lacunes de notre système de santé. On tente alors de pallier l’insuffisance de soins et services pour personnes âgées, handicapées, atteintes d’une maladie grave ou en fin de vie, à accéder à la fécondation in vitro, indécemment dispendieuse, ou à obtenir des soins de santé qui sont offerts à l’étranger. C’est notamment le cas d’Anastasie Haucault, une Manitobaine atteinte d’un cancer au cerveau, qui doit se rendre aux États-Unis pour recevoir un traitement… créé au Manitoba. Je ne me prononcerai pas sur la cruelle absurdité de la situation.
À l’origine de ces campagnes nombreuses, il y a un problème évident : celui du sous-financement de certains secteurs de la santé conjugué aux besoins croissants de la population. Contrairement aux projets créatifs dont certains, on va se le dire, sont franchement superficiels, les campagnes pour des soins de santé sont de véritables cris de détresse. Non seulement désignent-elles les limites de notre système de santé, mais elles témoignent par la même occasion de l’injonction à la performance dans toutes les sphères vie, même celle de la maladie, jusqu’ici préservée de l’esprit de marché.
Qui a vraiment envie de mener une campagne de sociofinancement lorsqu’il souffre? De faire de son histoire un récit émouvant, avec des photos retravaillées et une vidéo professionnelle, pour que la page circule et accumule les dons ? Qui, sérieusement, a envie de jouer la game de la viralité sur un lit d’hôpital ? Il me semble que la petite compétition à deux clics qui anime nos vies modernes prend le bord quand t’es sur le bord de perdre ton corps.
On dit que le sociofinancement découle de l’économie collaborative, mais il n’en demeure pas moins qu’il instaure un climat de compétitivité entre les individus qui s’adonnent à la même démarche. Ce n’est pas compliqué : l’argent revient à ceux qui font la meilleure campagne, nonobstant la gravité de leur situation.
Le bon côté ?
Comme dans le domaine de la culture, le recours croissant au financement participatif témoigne assurément d’une chose : le recul de l’État-providence au profit d’une logique entrepreneuriale. Le citoyen est aussi (ou d’abord) un agent économique et il doit cerner les opportunités, puis les exploiter.
Cela étant dit, le financement participatif de soins de santé semble mieux perçu en général que celui de biens culturels. C’est ce que nous dit cette nouvelle étude québécoise, selon laquelle un Québécois sur deux serait prêt à donner pour une initiative caritative, contre quatre sur dix pour un projet culturel. L’auteur d’un très bon papier paru dans Esquire (Go Viral Or Die Trying) abonde dans le même sens en témoignant de l’étonnante générosité des américains, dont les contributions apportent plus que de l’argent : elles offrent aussi une bonne dose d’amour :
« I knew people were good, the majority of people, but I never knew how good until what’s come into our lives. […] They were strangers to us before the diagnosis, but come into our lives and say they just want to help. I’m always taken aback by that. I have a stake in this, my daughter has it, but why would you be doing this? »
Ma collègue Houda Elkherchi n’avait que de belles choses à me dire de son expérience. Heureusement, elle n’a pas eu à créer et entretenir sa campagne ; une dame lui a proposé de la faire pour elle, après l’avoir vu témoigner de son expérience à Justin Trudeau. Ce qui me fait croire que, contrairement aux autres domaines du financement participatif, où l’on s’attend à ce que l’entrepreneur mène activement sa campagne, l’appel à la contribution pour des soins de santé n’a pas à être orchestré par le demandeur. La famille ou les amis peuvent l’organiser et espérer obtenir les mêmes résultats. De plus, ils se sentiront utiles, puisqu’ils auront l’impression de s’engager concrètement dans le combat de leur proche. Voilà, peut-être, le bon côté du sociofinancement dans le secteur de la santé.
Mais ne perdons pas de vue que cet appel à la participation, aussi pertinent soit-il, n’est rien d’autre qu’une stratégie de monétisation pour les plateformes de sociofinancement. Votre bien, oui elles le veulent, mais certaines conditions s’appliquent.
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